Biscuit

Le talentueux Mr Heeley.

James Heeley est le parfait exemple du créateur qui ressemble a ses créations : discret, élégant, d’un abord simple mais, à y regarder de plus près, complexe, intelligent et plein de vie.

James Heeley est un être étrange. D’abord, il est anglais, c’est dire. Et c’est un touche-à-tout. On voudrait le définir comme designer mais on sent bien que cela ne suffit pas. Il peut passer du design de produit à l’architecture d’intérieur, en passant par le graphisme, l’art contemporain ou la création de parfum; tout ça avec une facilité déconcertante. Dispersé, James Heeley? Concentré, au contraire! Chacune de ses réalisations démontre une rigueur et un souci du détail impressionnants. Né dans le Yorkshire, en Angleterre, le jeune Heeley est doué, très doué. Avec un an d’avance, il étudie la philosophie, l’esthétique, puis le droit, au King’s College de Londres. Diplômé du barreau, il abandonne sa future carrière d’avocat pour étudier l’architecture, plus raisonnable que la sculpture, qu’il pratique depuis qu’il est jeune, comme le théâtre. Ayant reçu une éducation formelle, ses passe-temps sont acceptés mais, de là à en faire un métier … Il le franchira en traversant la Manche, quittant Londres pour Paris.

Tant de trésors cachés

Il atterrit dans le XX ème arrondissement de Paris où il partage un atelier avec un entrepreneur américain. Une personnalité atypique: soudeur, sculpteur, architecte, un peu gangster, ami de Tinguely et de Niki de Saint Phalle. Grâce à lui, le jeune designer prend confiance: “On ne sait pas où on va, on ne sait pas comment on y va mais on sait que c’est possible et c’est ça qui compte, voilà ce qu’il m’a appris.” À cette même période, il découvre le travail et les propriétés de nombreux métaux et minéraux auprès des artisans du quartier. Premier coup de cœur: le zinc. “Ce que j’adorais, à Paris, à mon arrivée, c’était ces toits gris qui virent au bleu, ces couleurs qui changent, au coucher du soleil. Je me demandais si cet effet ne venait pas du reflet un peu bleu du zinc.” Il n’y a qu’un étranger pour voir ce qu’on ne voit plus et découvrir, dans une cour, un artisan qui travaille le zinc pur, utilisant ainsi ses propriétés d’étanchéité pour confectionner l’intérieur des jardinières. Tant de trésors cachés, sous exploités … pas perdus pour tout le monde. C’est ainsi qu’une de ses premières créations est née, aujourd’hui un classique: le vase en zinc “Canal”, réalisé pour le fleuriste français Christian Tortu.

Des matériaux qui ont une histoire

L’apparente simplicité et l’élégance des créations de James Heeley sont le résultat d’un processus de réflexion continue, dans lequel il épouse la forme, la fonction et une utilisation cohérente de matériaux. Lune de ses particularités est sa volonté de travailler des matières nobles avec des maîtres artisans, mettant conjointement à l’épreuve son exigence esthétique et leur savoir-faire traditionnel. Beaucoup de ses pièces sont soudées à la main et non pliées, afin de garder la pureté de la matière et des lignes, faisant de chaque objet une pièce unique. “Face à l’uniformisation, ce sont les détails qui font que l’on peut se différencier. Cela fait du bien, même dans quelques mètres carrés, d’avoir ne serait-ce qu’un objet singulier.”

Alors qu’aujourd’hui, tout doit être identifiable très vite, alors que le design est souvent baroque, plein de couleurs, de formes atypiques, James Heeley apparaît comme l’antishow off, plus à l’aise avec des matériaux qui ont une histoire. “J’aurais du mal à dessiner quelque chose en masse dans une matière avec laquelle je n’aurais aucune complicité”, confie-t-il. À une époque où le bling-bling est érigé comme un symbole du luxe, James Heeley nous propose une alternative. Face à un monde complexe et incertain, il rassure les urbains en mal d’enracinement que nous sommes et replace l’homme au cœur de l’écosystème. Place à l’élégance des objets humbles et modestes! Place à James Heeley.

Article: Sophie Peyrard
Photo: Paul Schmidt